Miss Algo - SDRC







 La douleur 




S’il y a pour nous une certitude, c’est bien celle de la douleur. Envahissante, omniprésente, jour et –surtout- nuit… Jour après jour. Nuit après nuit.

Tellement importante qu’elle a la "place d’honneur" dans le nom du syndrome, que ce soit ALGO(neuro)dystrophie ou Syndrome DOULOUREUX Régional Complexe.

Autour de nous, parfois on l’oublie. A l’intérieur, comment l’oublier ?

Pour définir ce qu’on ressent, il faut oublier tout ce qu’on connaissait de la douleur : "avoir mal" est un euphémisme. On a au minimum "très mal", et on peut ajouter suffisamment de "très" pour que ce soit à la limite de l’insupportable. Il faut cependant apprendre à supporter.

C’est une douleur qui a sa vie propre. Elle ne se contente pas d’être là, plus ou moins forte : elle se rappelle constamment à votre attention, irradie tant qu’elle peut, coule comme de la lave en fusion, vous ronge de l’intérieur. Elle est à elle seule et tout ensemble marteau, cisaille, fer rouge et régiment de fourmis. Elle pique et mord, déchiquette, écrase et tord. Elle pèse comme des kilos de béton. Elle vous réveille d’une brusque décharge. Elle vous prend en étau pour mieux vous poignarder. Elle plante de multiples aiguilles dans votre chair. Elle brûle chaud, elle brûle glacé… Vous paralyse ou ôte toute force.

Voici ma propre définition de ce que je ressentais : "la morsure d’un piège à loups sur le poignet, les doigts gonflés à exploser, une sensation de lourdeur au coude et à l’épaule, et le bras parcouru de brûlures, chocs électriques et morsures de fourmis rouges". Douleurs qui me réveillaient souvent la nuit. Actuellement, il me reste une impression de membre en carton.

 

Certains éprouvent des douleurs constantes mais "modérées"… en termes d’algo bien sûr, entre 2/10 et 5/10 (10 étant le maximum de douleur envisageable) ou qui vont en décroissant progressivement, ce qui a été mon cas. D’autres en revanche connaissent des crises d’une intensité insoutenable, ce qu’une personne a traduit par une douleur "de 10.000 / 10" …

Lors de ces crises, on voit ses membres se déformer, enfler brusquement, changer de couleur (en général, bleu-violet), devenir brillants, développer une sudation intense. Ils peuvent être pris de spasmes incontrôlables ou au contraire tétanisés…  Sans oublier des maux de tête, des vertiges, une sensation d'étouffement

Et il y a l’allodynie mécanique. Un des aspects les plus étranges de l’algo, pour nous et pour l’entourage, qui a vraiment du mal à y croire : une douleur provoquée par le simple toucher, le froid, le chaud !! Certains médecins savent : le jour où il m’a enlevé les broches, avant l’opération, le chirurgien a caressé légèrement, brièvement, le dos de ma main. Test réussi. J’ai bondi –intérieurement- sous le choc de la douleur. 

On n’imagine pas, avant d’avoir connu l’algo, avoir peur (je pèse mes mots) de croiser quelqu’un qui risque de vous toucher en passant. Un frôlement, ça fait très mal. Un souffle de vent, ça fait mal. Le contact d’un tissu, ça va de douloureux à intolérable, selon les gens, selon leur degré d’allodynie*.


* Allodynie : douleur ressentie par un sujet alors que le stimulus responsable était, pour le même sujet, antérieurement indolore. Elle correspond à la diminution du seuil douloureux : un stimulus normalement non nociceptif va être perçu comme douloureux par le patient.

 

Et pourtant, le paradoxe, c’est que cette douleur majeure
puisse être minimisée, quand ce n’est pas complètement niée,
par ceux qui devraient être le mieux placés pour la reconnaître :
l’entourage et le personnel médical.

 

Mais on dirait que la douleur reste une abstraction : quand le corps ne présente aucune lésion (visible…) on ne peut tout de même pas avoir « si mal que ça », ça ne se fait pas, ça frise l’indécence ! Voici donc une maladie où l’on n’a –apparemment- « rien » et où on peut souffrir un martyre quotidien pendant des années.

Faudrait-il prévoir, dans la formation des médecins et des kinés, un stage de trois jours de douleur intense, pour qu’ils apprennent à nous écouter ? Exemple vécu :

Régine :

Un rhumato m'a dit un jour : « J'ai vu des algos plus graves que la vôtre », d'un air complètement détaché, en ayant l'air de dire que je ne souffrais pas. En jouant au foot, il s'est explosé le genou. Opération, immobilisation, rééducation et surtout douleurs. Il a repris ses consultations en boitant, marchant avec des béquilles, la boite de médicaments dans la poche. Il a subi une deuxième opération, en a bavé là aussi. Il a fini par avouer : « Quand mes patients disent qu'ils ont mal, je les crois et je les comprends, je sais ce qu'avoir mal veut dire ». Edifiant, non !!!!

Des études ont été faites aux États-Unis pour évaluer le degré de douleur ressentie dans différentes pathologies. Ronald Melzack, auteur de la « théorie des portillons », a conçu le Questionnaire sur la douleur de McGill, un outil clinique qui demeure très largement utilisé dans l’évaluation de l’intensité de la douleur ressentie par les patients. L’échelle de douleur présente le « score » de plusieurs douleurs comparées, le maximum étant 50. En croisant d’autres études, on peut affecter un score à d’autres problèmes de santé :

Contusion - Entorse : 15

Fracture / arthrite : 18

Mal de dents : 20

Douleur des membres fantômes / cancer (sauf en phase terminale) : 22

Dorsalgie chronique : 25

Fibromyalgie / spondylarthrite : 30

Accouchement : multipare 33 / primipare 38

Amputation d’un doigt : 40

SDRC / algodystrophie (CRPS, en anglais) : 42 - 45.


 

Il est bien entendu que la sensation de douleur est la résultante de multiples facteurs, personnels et conjoncturels, qu’une rage de dents sera plus insupportable que certains accouchements… Mais il est une certitude : c’est que l’algo est affectée – et de loin- du score le plus élevé !

 

Pour ceux qui lisent l’anglais, voir http://elleandtheautognome.wordpress.com/what-is-crps/


Extrait de mon livre (à paraître) : Parcours des combattantes



  • Douleur maximale.