Miss Algo - SDRC






 Mon histoire 


 

 

9 février 2012

Et paf, et crac ! Je viens de tomber, sans le savoir encore, dans le monde étrange de l’algodystrophie.

Il y a la douleur, pourtant, violente, lancinante, de mon poignet fracturé. Elle sera fidèle, cette douleur qui a donné son nom à l’algo.

C’était un rare jour d’hiver où la rivière est prise en glace. De photo en photo, j’ai avancé jusqu’à ce sentier étroit où je me suis affalée sur le verglas, la main droite retenant l’appareil, la gauche en avant pour me protéger.

Assise sur l’herbe du bord, je tente de calmer la douleur. Mais ce n’est qu’au bout d’une demi-heure que les secours arrivent enfin. Pas une place aux Urgences du CHU en ce jour de chutes. On traverse toute la ville jusqu’à un autre hôpital.

Après une longue attente, un interne  surgit, manipule dans tous les sens ma main enflée, -ça me fait horriblement mal... rédige son rapport : fracture déplacée du radius, dite Pouteau-Colles.  Plus tard, c’est le tour du chirurgien, qui la prend avec douceur, l’examine avec précaution : il faudra poser des broches… demain matin. Pour le moment, il va juste réduire la fracture sur place. Sous azote. Je ne me souviens de rien.

10 février

14 h - Enfin ça bouge. L’anesthésiste m’explique qu’il va piquer dans un nerf, sous contrôle échographique. Il me demande de bouger le bras : rien ne se passe, l’information n’a pas été transmise aux muscles. Je ne sens rien, je ne contrôle strictement rien, c’est très bizarre.

L’opération est rapide, pose de trois broches : chtac, chtac, chtac ! Je me retrouve avec un beau pansement et une orthèse. L’intervention s’est parfaitement déroulée, rendez-vous est pris pour la dépose des broches, six semaines plus tard. Il n’y a plus qu’à laisser faire la nature. Le chirurgien a donné son accord pour que nous partions en vacances…


11 au 18 février

L’anesthésie dissipée, la douleur est revenue. J’ai de l’Ixprim pour l’atténuer. Cependant, chaque geste du bras gauche est douloureux, en particulier l’habillage et le déshabillage. En février, on en a des pelures superposées !… Pas d’infirmière sur mon lieu de vacances. Je ferai les soins moi-même, on m’en a expliqué les principes à la clinique. Mais quand il faut enlever l’orthèse !!! je vais y passer de longues minutes, avec infiniment de précautions, la douleur est atroce.

Les nuits, je les passe assise, le dos appuyé sur un oreiller, à masser un par un  mes doigts gonflés à éclater : il me faut une heure pour réduire un peu l’œdème… qui reviendra peu de temps après… Et puis, une méditation, qui me permet de me réfugier dans une bulle où la douleur est moins présente.

J’ai rencontré par hasard une infirmière, en vacances elle aussi.  Nous avons échangé quelques mots, son regard professionnel a vu mes doigts boudinés, bien rouges et bien moches… elle a prononcé le mot « algodystrophie »…

20 février

Je vois l’associé de mon chirurgien –en vacances- pour un contrôle.  Je suis passée à la radio d’abord. La main à plat… c’est impossible et terriblement douloureux. Le médecin  me regarde à peine, seuls les clichés l’intéressent. « C'est vraiment une très grosse fracture, mais elle se remet parfaitement. Maintenant, il faut attendre pour que la douleur se calme et que l'œdème se résorbe. » Il m'a prévenue des risques d'algodystrophie... « Mais c'est trop tôt pour en évaluer les risques. » Il n’a même pas examiné ma main.

Par contre, ma chatte fait tout son possible pour comprendre ce que j'ai : et je te renifle, et je donne des coups de tête...

Une infirmière est passée.  Elle n’en revient pas, il n’y a aucun soin à faire. C’est le cas depuis une semaine déjà : trois jours après l'intervention, quand j'ai enlevé l'attelle et les bandages, ma peau était parfaitement intacte, pas la moindre trace de cicatrices, là où le chirurgien a ouvert pour placer les broches. Les heures de méditation où j’ai visualisé ma main guérie ont donc porté leurs fruits !! En revanche, elle s’inquiète de ma douleur extrême. Elle-même a eu de l’algo à la main, qui a parfaitement guéri.

Ce matin, j'avais très mal, malgré l'antalgique. Je me suis allongée, j'ai placé ma conscience dans ma main... plus de douleur. Je ne suis pas assez douée pour rester ainsi concentrée toute la journée, mais je sais que je peux continuer à me soigner.

Mi-février à mi-mars

Je me réveille tous les matins les poings crispés, l’ongle du pouce m’entre dans la paume. Et quand il faut retirer l'attelle pour les soins, c'est extrêmement difficile et douloureux... Donc l'infirmière m'a conseillé de dormir avec une "boule anti-stress". Mes doigts se sclérosent et l’œdème est impressionnant. Je passe une heure chaque jour à me masser la main pour la drainer et la mobiliser un peu. Ma peau est extrêmement sèche. De temps en temps, j'ai une douleur "flash", ça dure une fraction de seconde, mais ça me réveille.
La bosse rouge sur mon poignet a augmenté de volume. Je finis par ne plus supporter la douleur due à l’attelle, une amie s’étonne qu’on ne m’en ait pas prescrit une modelable. J’en aurai une souple… et qui s'ouvre en entier. Ouf !  Mais je commence à avoir mal au coude et à l’épaule.

Le retour à la maison pose clairement les problèmes pratiques : non seulement j’ai mal, mais je n’ai aucune force dans la main, incapable même d’appuyer sur une touche d’ordinateur. Et chaque effort du bras droit se répercute à gauche, comme en écho. Je dois me contenter du minimum vital : en cuisine, pâtes, riz, surgelés. Incapable de faire du ménage. L’entretien du linge est complexe : je ne peux ni étendre, ni repasser, ni plier correctement, ni ranger dans l’armoire.

Mon mari se charge d’ouvrir et fermer les volets !

Ma meilleure amie est venue m’aider mais la nécessité d’une aide-ménagère se fait criante. Heureusement que son salaire sera pris en charge par l’assurance.

12 mars

Au bout d’un mois où chaque geste du bras gauche est un supplice, où je me jette sur l’antalgique dès que le délai de quatre heures est passé, j’ai obtenu un RV avec mon chirurgien. Je me rappelle mes mots exacts quand il m’a demandé la raison de ma venue : « J’ai mal, mal et mal. » Un coup d’œil sur ma main gonflée et déformée lui suffit pour comprendre. Une simple radio confirme la déminéralisation mouchetée.

Le diagnostic est tout de suite posé, c’est malheureusement un classique sur les fractures du poignet, m’explique-t-il : 20 % de risque d’algodystrophie. Et parmi ceux-là, 20% connaissent une forme sévère. J’ai même droit à la dénomination « très sévère ». Un cas sur cent fractures… La dépose des broches se fera donc sous anesthésie générale, pour ne pas provoquer la moindre souffrance supplémentaire. Et RV est pris, d’autorité et en urgence, au Centre de la douleur tout proche.

« Vous en avez pour un an / un an et demi à vous remettre de votre fracture ». Je m'en vais te le faire mentir, moi, ce chirurgien ! Commencer par me déstresser, puisqu'il paraît que c'est directement lié...

22 mars

On enlève les broches. Avant qu’on m’endorme, le chirurgien a caressé légèrement, brièvement, le dos de ma main. Test réussi. J’ai bondi –intérieurement- sous le choc de la douleur.  Au réveil, je pratique la cohérence cardiaque, comme je l’ai fait depuis 10 jours, et j’ai la joie de voir le résultat sur le monitoring : une belle courbe régulière et douce… tant que l’infirmière, un peu stressée, ne vient pas me dire de « respirer lentement ». C’est ce que je fais, non ?

J’ai plutôt moins mal. Pourvu que ça dure. Dans la chambre, je discute avec une aide-soignante qui a eu une algo quelques années auparavant, suite à une fracture du majeur. Un court arrêt pour la fracture elle-même, qui s’était bien remise, algo six mois plus tard… et neuf mois d’arrêt.

30 mars

Génial, l’algologue du centre anti douleur, j'ai vraiment beaucoup de chance ! Pas de kiné tout de suite, mais "auto-kiné" dans un bac de semoule ou de lentilles. Et d’abord, toucher une même surface avec chaque main et comparer les sensations.

Et un « protocole Moseley », qui semble-t-il, donne des résultats positifs bien supérieurs aux traitements habituels. C'est basé sur une rééducation du cerveau et l'utilisation de la latéralité pour s'auto-guérir. On fabrique soi-même ses outils et on se rééduque. Il faut juste y passer une demi-heure chaque jour.

J'ai droit à la gégène aussi, mais à courant très bas, ça s’appelle un TENS. J'ai déjà été soignée à l'électricité : un petit courant sympa qui donne l'impression d'être traversée par des fourmis en file indienne.

Le médecin est un adepte de l'humour bien méchant, mais j'ai du répondant, et je suis partie en lui disant que je plaignais sa secrétaire, s'il la torturait comme ses patients.  


Avril - mai

Au travail, donc. C’est la première fois qu’un médecin m’offre l’opportunité de me soigner moi-même. L’algologue m'a expliqué les enjeux : plus j'ai mal, plus la maladie s'auto-entretient... Il faut d'abord sortir de ce cercle vicieux.

Le lyrica, que je commence progressivement,  (50 mg le soir), a le mérite de me faire retrouver un peu de sommeil. Aucun effet sur la douleur, mais il faut protéger mon cerveau des effets secondaires que produirait un dosage plus important.
Le tens me tient attachée 6 fois une demi-heure par jour, depuis que je n’ai plus de pansement, mais n’a aucun effet non plus. Le plus efficace, finalement, c'est la relaxation, qui déconnecte le cerveau de la douleur.

Je continue à drainer ma main gauche, pour que l’œdème reste supportable. Au quotidien, je me débrouille plutôt bien, sauf pour quelques petites choses, comme prendre la douche... et tout ce qui demande l'usage des deux mains… La cuisine est sommaire et je ne peux pas couper ma viande.

J’ai commencé à faire une collection de photos de mains sur internet, et je fais « mes devoirs » quotidiennement, pendant 15 jours pour travailler les connexions nerveuses et le schéma corporel. Pour le moment, juste reconnaître si c’est une main droite ou une main gauche. Je me surprends à comparer certaines photos avec mes propres mains, pour m’y retrouver.  Puis j’élimine les photos les plus simples à reconnaître pour travailler sur les plus difficiles, mouvement complexes ou images renversées dans des positions improbables.

RV avec le chirurgien. Diagnostic : fracture parfaitement guérie mais algodystrophie sévère, ordonnance : patience et longueur de temps...

Mon médecin traitant  me prescrit un traitement homéopathique pour l’œdème, qui commence à se résorber plusieurs heures, tant que je ne fais aucun effort. Soulagement : la peau n'est plus tendue à bloc. J'arrive aussi à bouger –à peine- le poignet, bloqué à 45°, et les doigts. Par contre, aucune force, ni préhension… J’arrive à ressentir le contact des objets, mais aucune conscience du vent. Et je ne supporte pas le lyrica à 200 mg, qui me rend zombie et me donne des vertiges. On redescend à 150. Je préfère avoir un peu mal, c’est désormais supportable.

Une fois les cicatrices des broches bien nettes, je commence l’auto-kiné dans la semoule, puis un mélange semoule-lentilles, tout en faisant autre chose pour occuper mon cerveau et le détourner de la douleur. Ce mouvement active les terminaisons nerveuses et ensuite, je ressens des picotements. Je travaille les sensations agréables.

Je passe à la deuxième étape du protocole Moseley, la visualisation de ma main gauche dans la même position que les images de ma collection : certains « mouvements » sont naturels, d’autres demandent beaucoup de concentration. C’est plus facile à faire juste après le travail dans la semoule. Mais des mouvements « simples » se révèlent finalement difficiles à me représenter mentalement, et particulièrement tout ce qui demande une torsion du poignet. Pendant l’exercice, je ressens des picotements électriques, et à la fin, ma main est chaude et un peu douloureuse.


Image difficile

http://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_06/i_06_cr/i_06_cr_mou/i_06_cr_mou.html

Dans mon cerveau, l’image de ma main gauche devrait être en train de se reconstituer correctement. Car elle a un peu disparu de mon schéma corporel : je la heurte souvent… alors que je sais que ce sera très douloureux… Mais mon pouce ne veut rien savoir, il fait grève…

Quand je me réveille (les nuits font rarement plus de 3 heures d’affilée) je fais fonctionner virtuellement ma main pendant quelques minutes : poing serré, doigts écartés, un doigt après l'autre... Grosse fatigue dans la journée : je ne tiens pas beaucoup plus d’une heure debout.  La main gonfle à nouveau, avec la chaleur et la marche, et ça tire sur la peau qui avait repris sa taille initiale...

Je ne progresse plus en Moseley, l’algologue n’ayant pas jugé utile la prise en charge par un kiné spécialisé pour me l’enseigner, parce que j’ai pratiqué tai chi et qi gong… Ma prof m’a déconseillé de reprendre les cours pour le moment, c’est trop douloureux encore, mais m’a fait une séance de réflexologie, pour relancer les systèmes nerveux et lymphatique.

A suivre...